La Tunisie est une société patriarcale où l’ombre de l’ancêtre mâle pèse encore sur la conscience familiale. Le respect généalogique du à l’arrière-arrière-arrière- arrière grand-père et le rôle centrale et autoritaire de la figure paternelle au sein de la famille montre bien dans quelle logique symbolique s’inscrivent la plupart des tunisiens pour se constituer et préserver leurs repères quotidiens. Le modèle familial a évidemment ses incidences au niveau macrosociologique quand à notre approche des collectivités, et ce sont ici les notions d’Etat et de nation qui sont à remettre en cause.
Les 100 000 tunisiens partis manifester devant la Kasbah et sur l’Avenue Habib Bourguiba hier (plus grande manifestation depuis le 14 janvier) sont sur la voie de la guérison. Eux, ils ont compris. Oui, la Tunisie ne veut plus de « père » de la nation. Et tant qu’un régime présidentiel subsistera, il y aura toujours un risque que la logique affective et idéologique reprenne le dessus, et que l’on en soit à glorifier et idéaliser ce personnage à la tête de la nation : « bouna lkol ».
- Les manifestants ne veulent pas que le départ de Ghannouchi pour toutes les raisons qu’on connaît (lenteur de l’action, appareil policier toujours corrompu, communication quasi-inexistante…) mais également la création d’une assemblé constituante et certains prônent même un régime parlementaire.
- C’est le début du transfert. De l’admiration du « père » , on passe à celle des « enfants ». Du supposé leader , au peuple. Le peuple devient son propre repère et reprend son titre de nation.
- En récupérant sa légitimité politique, le peuple fait plus que devenir souverain, il est en train de casser un modèle idéologique qui persiste et qui fut à son apogée sous l’ère Bourguiba. Nous vivons bel et bien une révolution, sous tous les plans.
- Lorsque les derniers bastions de l’islamisme seront éliminés et que la verve réactionnaire tendra vers le progressisme, et que la génération de jeunes révolutionnaires sera celle au pouvoir et à la base du fonctionnement du pays, alors là la révolution sera à son triomphe le plus complet.
Très bel article.
RépondreSupprimerChez nous aussi, en France, nous avons eu un père de la nation en la personne du grand Charles. Il est évident qu'avec Nicolas Sarkozy cela ne fonctionne plus du tout. Il ne s'agit même pas d'un fils, même turpulant ou terrible (pour reprendre Jean Cocteau) mais seulement d'un voyou.
Un brin de réalisme concernant la dernière phrase : lorsque les jeunes révolutionnaires d'aujourd'hui seront au pouvoir et à la base du fonctionnement du pays, ils se seront embourgoisés entre temps. Pas tous, tous mais beaucoup d'entre eux et sans doute qu'une nouvelle génération qui n'est pas encore née viendra à les contester. D'une certaine façon, espérons-le.
Bien à vous.
Oui sûrement embourgeoisés comme à Mai 68 mais sachant tout de même ce à quoi elle ne veut pas revenir.
RépondreSupprimer"ce à quoi elle ne veut pas revenir". Bien évidemment. Même les dévoyés de mai 68, comme BHL, Glucksmann, July ne voudraient pas d'un régime autoritaire. Nous sommes d'accord. Alors pour un retour à un régime dictatorial ... Vous êtes la génération contestatrice d'aujourd'hui, la génération de l'espoir. Un jour viendra où vous serez vous-même contestés par vos enfants ou vos petits-enfants, c'est là tout ce que je signalais au passage mais pour le moment, c'est à vous de transformer l'état des choses.
RépondreSupprimerExcusez l'immixtion d'un vieux, père, par-dessus le marché, et qui, étant issu de ce même "terreau" socio-culturel que vous dépeignez, en reproduit forcément, au moins dans une certaine mesure, certains des éléments fondamentaux ! Je voudrais juste vous dire que l'idéologie et la démagogie sont bien plus insidieuses que vous ne semblez le penser. Elles peuvent se faufiler par mille et un interstices et épouser mille et une figures. Leurs vecteurs favoris demeurent cependant les entités abstraites (genre "la démocratie", "la liberté", "la vérité", "la nation", "Dieu", "le bien", "le mal"...) et les masses indistinctes ("l'humanité", "le peuple", "les tunisiens", "les jeunes", "les arabes"...).
RépondreSupprimerAh, cette photo, comme c'est parlant.
RépondreSupprimerEt tout d'un coup, me reviennent en mémoire les photos du maréchal Pétain embrassant les enfants qui lui offraient innocemment des fleurs.
Tandis que pour l'un, il y avait les torturés des prisons et pour l'autre la rafle du Vel d'hiv.