Sous la dictature, la jeunesse tunisienne, des Winston Smith en herbe. L'on pratiquait nous aussi la technique de la doublepensée -si minutieusement décrite par George Orwell dans 1984- , qui consiste à refouler la réalité, à la nier jusqu'au plus profond de notre inconscient et à la remplacer par une vérité que l'on devrait tenir pour universelle et qui somme toute, nous dérangerait moins. Et qui est celle, pour faire court, que la vie est tout simplement belle. Une petite dose de LSD bien diluée dans notre mloukhia et c'est reparti. ;)
La Tunisie n’était qu'un terrain de jeux pour nous, un passage à vide obligatoire. On croyait vivre la réalité mais on ne faisait que s'enfoncer dans une illusion. On comblait notre dignité bafoué, notre absence de liberté en adhérant au régime, en laissant la dictature nous dicter nos loisirs, notre manière de pensée. Le régime nous droguait, nous abrutissait avec ses boites de nuits partout, ses cafés a chaque coin de rue, son foot omniprésent. On devenait vides en croyant que c’était ça la vie. Ou bien on se prétendait aveugles, on réconfortait notre conscience avec un "tout façon, je me sens pas tunisien",on s’enfonçait dans une autre culture, on se cherchait d'autres origines, on enviait ceux qui pouvaient se vanter d’être étrangers. On se plongeait corps et âme dans la culture, on s'informait, on lisait, on dénigrait notre pays parce que notre plus grande peur, était de rentrer dans cette masse qu'on pensait sous la coupe du régime.
Mais la faille ou ce qui nous a sauvé, est que notre leurre était imparfait. C'est faux, on ne baissait la tête que pour mieux chuchoter. Notre pouvoir d'auto-persusasion tenait plus de la résignation ou de la relativisation, d'un "Oui mais, on est pas si mal lotis en fin de compte" que d'une déformation de ce qui était : le martèlement sourd et tyrannique d'une main mauve au-dessus de nos têtes apeurées. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Nous n'étions pourtant rien. L'Ancien régime, un suceur de vie. Tout était sous-entendu, tout était anonymat. La paranoïa pouvait effectivement nous conduire à vérifier s'il n'y avait caché dans quelque recoin de notre maison une micro-puce détective à la solde du RCD. On rabâchait Mai 68, Woodstock, ces odes à la liberté, à la jeunesse dans toute la splendeur de son existence qui mettaient en nous cette espèce d'amertume et de nostalgie d'un temps que nous n'avions jamais vécu. Allez, sois jeune et tais-toi. (certes)
Il y avait de ceux qui se voilaient la face et espéraient se fondre dans le système (faute de mieux?) afin de pouvoir peut-être en récolter quelques miettes, ceux qui ne demandaient rien et ceux qui voulaient fuir.
Pourquoi fuir ? A cette question l'argument récurrent était un rageux ou soupirant "J'en ai marre de ce bled" qu'on pourrait aujourd'hui assimiler à un "Je ne peux pas parler". Un potentiel déchu avant l'exercice, un espoir qui n'avait rien à envier à la mort. Bref, des crocs vite remplacés par des dents de lait.
On avait connu que la dictature, que le silence et d'une certaine manière on s'habituait, on n'imaginait pas autre chose. Le régime avait coupé court à nos rêves et le seul espoir qui nous subsistait était celui de fuir.
Mais on dira par euphémisme que ce vieux con n'était pas "l'oreille qu'il fallait à nos bouches" et aujourd'hui tous ces mots autrefois utopiques, niais ou fades d'Amour,Solidarité, Fraternité, Liberté, Amitié ont repris de leur envergure. Et pas qu'un peu. Car les tirs ravivent la conscience et le danger lie même les mains les plus incertaines. Et surtout parce qu'il n'y a de plus féroce qu'une haine refoulée, et quand la haine d'un peuple tout entier converge en une même direction, force est au destin d'y répondre et force au tyran de se casser.
Hommage à tous ces morts qui ressuscité 11 millions morts-vivants et qui nous permettent, aujourd'hui, de conjuguer ces faits à l'imparfait.
Excellent choix de la photo.
RépondreSupprimerD'un côté les slogans heureux qui sont plus qu'un cri d'espoir.
De l'autre deux symboles des règles du savoir-vivre en commun. "Il faut marcher dans les clous" et s'arrêter au feu rouge, la liberté dans l'ordre en quelque sorte; un arbre de la liberté qui semble être un peu chétif; enfin une haute palissade qui espérons-le ne bouchera pas toujours l'horizon.