lundi 14 mars 2011

Les Tunisiens s'indignent.


Soixante ans après la rédaction de la Déclaration des Droits de l'Homme après la Libération, voici que la Tunisie a l'honneur de recevoir des monuments de la lutte pour la liberté et la dignité.
Le 12 Mars 2011, nous avons eu l'occasion d'assister à un colloque de grands hommes.
Youssef Seddik, philosophe et anthropologue tunisien, Jean Daniel, militant et fondateur du Nouvel Observateur et Stephane Hessel, diplomate et militant de 1ère heure qui propagea une vague d'idéalisme révolutionnaire à travers le monde grâce à son manifeste Indignez-vous, étaient rassemblés pour débattre sur l'avenir de la Tunisie libre.

Cette conférence eut lieu à l'hôtel Sheraton, qui a acceuilli plus de 1000 intéressés, parmi lesquels le ministre de la Culture.
Le colloque débuta par quelques mots du philosophe et l'un des fondateurs de l'association AVERTI Youssef Seddik. Il évoqua notamment le poète Aboul Kacem El Chebbi, dont les vers, qui composent notre hymne nationale, ont donné courage et fermeté à plus d'un face à la répression.
Youssef Seddik a eu une phrase, « j'espère que le monde dira un jour nous sommes tous des arabes » comme le monde a pu dire "nous sommes tous des américains" lors du 11 septembre ou encore aujourd'hui "nous sommes tous des japonais". La mise en avant du fait que le monde se devait en cette période de boulversements intenses repenser ses approches face à l'autre, et que c'était le moment ou jamais pour que l'universalité prime sur le particulier, montre que maintenant plus que jamais l'image que l'Occident se fait des "arabes" peut évoluer. 
Puis nous avons l'immense plaisir de pouvoir entendre M. Stephane Hessel dont la vie et les combats inspirent et inspireront encore les générations qui suivent.
Il a préconisé la vigilance comme mot d’ordre pour poursuivre a bien notre révolution.
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (1er article de la Déclaration universelle des droits de l’homme) a-t-il rappelé en ajoutant que la Tunisie se devait d'agir suivant cette affirmation. Cet article  formulé il y a déjà 60 ans n'aura jamais été aussi essentiel, en ces jours où du Maroc au Yémen, des hommes se battent et parfois meurent pour leur liberté et leur dignité. En fournissant la preuve que les révolutions sont encore possibles,  la Tunisie doit avoir à coeur que cet article reprenne tout son sens.

Puis lui a succédé, M. Jean Daniel avec une intervention succinte :  "il faut construire au lieu de contester sans donner d'autres solutions". Il a également tenu a faire un hommage au philosophe Arkoun qui disait que les arabes étaient les précurseurs de la démocratie et que c'était donc naturel que ce soit eux qui la reprennent.

Raja Ben Ammar, comédienne et metteur en scène tunisienne, a ensuite explicité dans une intervention le lien entre le corps et la révolution et de manière plus précise, la relation entre corps et conscience. Elle a parlé du corps malade à cause du voile, de la chape de la dictature qui nous empêchait de voir la realité comme si « les portes de la perception étaient fermées. »
Elle a longuement insisté sur la censure omniprésente dans le monde du théâtre aussi bien dans les troupes étatiques que les troupes soit-disants « indépendantes »  et du fait que lorsque l’on pouvait plus parler, il y avait un certain retour au corps qui était devenu le seul  moyen de s’exprimer sans éveiller les soupçons, de dire ce que l’on ne peut dire avec des mots. Elle nous a rappelé la triste propagande que nous avons subi pendant 23 ans, avec des médias qui montraient un corps heureux et productif. Enfin, elle conclua son intervention avec "les corps de la révolution" qui ont investi la rue, l’espace en faisant allusion aux vidéos d’une femme qui criait « On l’a gagnée ! » ou d’un homme, seul sur l’avenue Habib Bourguiba, qui hurlait, ivre de joie, sa gratitude au ciel.

La parole a ensuite été donnée à M.Youssef Essid qui a exposé une théorie sur  l’ordre et le  désordre au cours d'une révolution. A vrai dire, il a surtout fait un résumé de l’avant et de l’après révolution. Il a pris l’idée de l’effet papillon ou comment un geste solitaire pouvait provoquer un cataclysme et surtout comment l’absence de tradition démocratique pouvait provoquer un vide politique car il n’y a jamais eu d’opposition à Bourguiba ou Ben Ali. A vrai dire, si un parti, un groupe ou même un leader aurait aidé à renversé le régime, il aurait récupéré la révolution et on aurait surtout assisté a un 7 Novembre bis, alors, peut être bien que l’anonymat de ce mouvement est plus positif qu’autre chose.
Ca lui va bien , la chachia.
L’historien a fait une longue description du système-mauve où il n’y avait aucune place pour le désordre ou l’imprévisible d’où l’incapacité de ZABA à répondre aux attentes du peuple. La « paix sociale » n’était assurée que par la contrainte et l’étouffement de la contestation. Il ne faudrait pas oublier que la liberté politique a un coût et qu’il faut savoir l’assumer car c’est le seul moyen de pouvoir ensuite bâtir un système équitable et démocratique. (A méditer pour la majorité silencieuse). Mettons donc « l’imagination au pouvoir ».

La partie qui fut sans doute la plus intéressante fut l’échange entre les conférenciers et les personnes venues au colloque, au moyen de questions qui permet réellement d’avoir un débat et de confronter les avis.
Est-ce que l'hégémonie américaine et israélienne permettront à un petit pays comme la Tunisie d'établir et de vivre sa démocratie tranquillement ? L'opposition (à prendre avec des pincettes) Kasbah/ Kobba pourrait-elle être considérée comme une illustration de la lutte des classes ? Que représente réellement l'islamisme en terme de risques?
Les révolutions arabes permettront-elles de faire renaître la langue arabe, longtemps jetée aux oubliettes ?
En faisant un parallèle avec la montée relative de l'extrême droite en France, peut-on toujours dire de la démocratie qu'elle reste le meilleure modèle politique à appliquer ? Une effusion de doutes, de curiosité et d'inquiétudes.
Il se trouve que "les israéliens ont peur des arabes, car ils  risqueraient de  tout perdre", dixit M. Hessel. Le mouvement révolutionnaire ne risque donc pas de toucher la jeunesse israelienne, du moins pas de manière effective. Et puis, ces saletés de lobbies. "Netanyahou dégage!" renchérit-il.
Après le Mauve, la Tunisie se retrouve en effet confrontée à d'autres forces occultes, l'Oncle Sam et Cie par exemple. A cela on nous répond que malgré le rapport de force, la Tunisie doit apprendre à préserver son autonomie, elle doit traiter d'égal à égal avec les Etats-Unis et l'UE et se dispenser de leur aide. Il ne faut pas être submergé par les modèles démocratiques américains et européens, mais chercher plus loin, comme en Amérique latine par exemple, cette zone du monde qui tente de se forger sa propre identité politique. Il faut donner un nouveau sens fort et digne à la démocratie, car il est bel et bien le meilleur système à appliquer. Mais on pourrait sans doute davantage l'améliorer : la démocratie devrait être participative, par exemple.
Et en démocratie, même les personnes voulant réduire le taux de chômage en abolissant le travail des femmes, les xénophobes invetérés, en somme les gens qui veulent nous faire vivre -86758 avant Mahomet, peuvent participer à la vie politique. "On ne peut pas faire de procès d'intention à quelqu'un" explique Seddik "tant qu'il n'a pas agit, on ne peut rien faire. Et  s'il agit, il n'y aura à ce moment la que la loi pour punir." C'est dans les urnes qu'il faut se battre. Et il ne faut pas espérer que l'islamisme soit loin derrière nous:  il faut rester vigilant et agir. S'engager.  La source de la pensée arabe se trouve dans la tranquillité et la générosité et il ne faut pas pas confondre cette idée de la pensée orientale avec les excès de certains qui se réclament de tradition arabe. (Wahabites, Al-Qaida) "Que des "ismes" n'entâchent pas les préceptes de base d'une religion qui se veut calme et tolérante."

Enfin, l'hypothèse de la représentation d'une lutte des classes fut partiellement essuyé par l'historien Yassine Essid qui émit des réserves sur la possibilité d'une analyse marxienne. Il expliqua néanmoins que selon lui c'était plutôt une tentative de la part de la bourgeoisie réfractaire et impatiente de retourner au train-train habituel, à la "normale". On est encore ici dans une démarche benaliste où toute forme de désordre est à proscrire. Une approche médiocre face à la grandeur de cette révolution, encore un automatisme peureux au service de la joie du capital.  "Cette majorité est estimée, ce n'est pas un concept net" ajouta-t-il. Il posa à son tour une question pertinente à l'audience, qui était celle de savoir vers quelle voie économique souhaitait s'engager la Tunisie : "allons-nous revenir au carcan du libéralisme?" 

Peut-être que : "L'instauration « d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie ». L'intérêt général doit primer sur l'intérêt particulier, le juste partage des richesses crées par le monde du travail primer sur le pouvoir de l'argent." serait un bon conseil à suivre.

3 commentaires:

  1. Quel plaisir de lire un tel article !

    Je vais le relire.

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  2. je réctifie : Mr. Yassine Essid et non pas Youssef Essid
    ;)

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  3. Je réctifie : Mr Yassine Essid* et pas Youssef Essid
    ;)

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