dimanche 23 octobre 2011

23 Octobre

Journée historique, plus qu'historique. Une ambiance toute particulière ce dimanche matin. Voter, après tant d'années de dégoût, voter devient enfin un plaisir, un acte qui se fait fièrement et non avec amertume. Les gens font la queue en riant de bon cœur au légendaire sens de l'organisation tunisienne. Des vieilles dames amènent des tabourets avec elles, elles chuchotent qu'Ennahdha leur fait peur et qu'elles ne voteront pas pour eux. C'est beau, il faut se concentrer pour ne pas pleurer. Repensant au passé et à la chape de plomb qui nous rongeait, on ne peut qu'être heureux à la vue de tous ces gens venus s'exprimer, venu décider de l'avenir de leur pays. Les queues sont longues, beaucoup sont venus dès l'ouverture et peu de gens sont découragés par leur longueur ou par la chaleur écrasante. Chacun attend patiemment son tour sans s'énerver, en discutant avec son voisin et regarde avec impatience la queue. Tout le monde a en tête qu'aujourd'hui le monde nous regarde, et nos voisins arabes avec eux. Tout le monde veut montrer que la Tunisie est à l'avant garde du mouvement démocratique arabe.

Quoi qu'on dise, aujourd'hui, c'est l'histoire, aujourd'hui c'est la fierté d'être tunisien, aujourd'hui, c'est un pas de plus vers un pays où il fera bon vivre, car au fond, qu'importe une victoire d'islamistes dans un pays où les gens se lèvent à l'aube pour voter ? Un pays de citoyens, ayant acquis leur majorité par le sang et le courage.

(Article, to be continuated :)

jeudi 20 octobre 2011

Ennahda : retour sur une success story.

Tunisie, J-7 avant les élections.  Sous une chaleur encore tenace, à quelques jours de l’élection d’une Assemblée Constituante, les tunisiens restent les yeux rivés sur le favori du 23 Octobre ; le parti islamiste Ennahda. En neuf mois à peine, le mouvement sorti de l’ombre après 23 ans de persécutions a su s’imposer au sein de la société post-Ben Ali.
La Tunisie, territoire minuscule coincé entre deux géants pétroliers et qui a connu deux dictatures et quelques millions de touristes est un petit pays à tendance schizophrène. Schizophrène parce qu’il oscille entre un libertinage à l’européenne et un article premier de la Constitution qui déclare clairement que « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain ; sa religion est l'Islam ». Par conséquent, en toute logique des choses, le tunisien moyen se moquera de ces «kofar » (mécréants) d’étrangers sans Dieu, ni valeurs avant d’aller partager une bière avec eux. Ainsi, fonctionne la société tunisienne, à la fois attachée à ses valeurs religieuses mais revendiquant clairement sa modernité héritée d’un Bourguiba visionnaire et de sa proximité avec l’Europe.
Néanmoins, les dernières années ont vu émerger en Tunisie un retour du religieux qui est resté longtemps caché derrière les couches de propagande mauve du dernier dictateur (Noté que le mauve était sa couleur préférée). Les clivages sociaux de plus en plus importants, se sont mutés en clivages religieux. Les classes populaires, les jeunes diplômés au chômage abandonnés par un pouvoir trop occupé à s’enrichir  se sont tournés vers le refuge que constitue pour eux la religion. Les régions abandonnées par l’Etat ont vu fleurir des mosquées au détriment d’autres infrastructures. Entre Tunis capitale-vitrine, les littoraux-cartes postales et les régions désertiques du centre où dit-on, il n’y a que minarets à l’horizon, le fossé s’est creusé.
Mais il a fallu attendre le 14 Janvier pour que le tunisien voit tout ça a l’œil nu. Car les portes de l’islamisme avaient été fermées à double-tour par un Ben Ali, à coup d’emprisonnements et d’exils.

Ainsi, la nouvelle terreur postrévolutionnaire a été la découverte de pratiquants purs et durs, de mouvements salafistes mais aussi d’un parti islamiste renaissant de ses cendres.  La première réaction de l’opinion publique a été de s’insurger contre le retour du leader du parti islamiste, Rached Ghannouchi, de crier gare contre les « barbus » qui voulaient faire du pays un deuxième Iran.  Cette mauvaise publicité, relayée par les médias et  les réseaux sociaux (combien de groupes Anti-Ennahda compte-t-on aujourd'hui  sur Facebook !) aurait dû en théorie desservir le parti. Mais c’est là où le génie d’Ennahda s’est exprimé.

Le parti a non seulement su profiter de la publicité gratuite que lui faisait l’opinion publique mais il a aussi cherché à démontrer l’inexactitude des accusations d’extrémisme dont on l’ l'assaillait.
Il a d’abord revendiqué son idéologie islamiste modéré en affirmant son soutien à la parité homme-femme au sein des listes électorales (loi votée en Mai) et il a érigé en modèle absolu la Turquie de l’AKP.
Il est l’unique parti à disposer de bureaux et de membres dans quasiment toutes les régions de la Tunisie, (et notamment les régions du centre et du sud toujours délaissés par le pouvoir) et il a su rallier à sa cause les élites du pays (aussi bien des imams, des théologiens que des personnalités de la vie publique respectés  et surtout reconnus). Mais le fer de lance de cette opération séduction a été d’user de l’argument moralisateur pour attirer les électeurs.
Le parti savait qu’après 23 ans sous le joug d’une famille cupide dilapidant les ressources du pays, mettre en avant l’honnêteté de dirigeants était l’argument permettant d'attirer un nombre d'électeurs considérable.  Et, ainsi Ennahda s’est retrouvé non sans grande surprise à la tête de tous les sondages grâce à une solide stratégie de communication et une organisation sans faille.

Néanmoins, bien que le parti clame haut et fort sa modération le danger d’une dérive conservatrice si Ennahda accédait au pouvoir est bien réel. 
Il faut prendre en considération qu’Ennahda est une structure géante englobant toutes les tendances islamistes, d’avocats modérés aux salafistes conservateurs qui constituent la base du parti. Et quand on voit qu’en réponse à la diffusion sur la chaîne de télévision Nessma de Persepolis, où apparaît la représentation de Dieu (alors qu’elle est interdite dans l’Islam) ces mêmes salafistes décident d’attaquer la chaîne en question, le danger de l’islamisme apparaît plus que jamais réel en Tunisie.

L’enjeu majeur des élections et des années à suivre en Tunisie sera de pouvoir à la fois concilier la foi musulmane des classes populaires et l’occidentalisme des classes moyennes et des élites bourgeoises. Ennahda pourra-t-elle être garante de cette schizophrénie tunisienne, cette diversité d’opinions, qui est à la fois l’atout et le péril du pays ? Pas si sûr ..
Copyright : Z (debatunisie.com)

vendredi 14 octobre 2011

Persepolis



À une semaine d'élections historiques en Tunisie, le pays est plongé dans une profonde méditation à haute teneur métaphysique « Est-ce que voir Dieu à la télé insulte Dieu ? ». En effet, depuis une longue semaine, Persepolis remue ciel et terre ( Jeu de mot de l'année) alors que notre futur constitution, celle qui définira notre vie politique pour les prochaines décennies est passé à la catégorie « Sujet de second ordre». Mais il faut avouer que cette polémique qui semble aux premiers abords vaine et totalement disproportionnée aura eu le mérite de clarifier les positions de chacun et de montrer à quel point le pays peut facilement se diviser sur des questions religieuses. Il y a ceux qui considèrent que Persepolis est un film blasphématoire, poussant à l'athéisme, et furieusement insultant parce qu'on y voit un barbu dans le ciel, barbu qui symbolise Dieu. Il y a ceux qui trouve que c'est un film insultant mais qui en veulent surtout à Nessma de l'avoir diffuser juste avant les élections pour semer le trouble dans le pays. Et il y a ceux qui défendent la liberté d'expression, la liberté de créer et de blasphémer. Le phénomène touche ainsi une immense partie de la population.

Les premiers sont irrécupérables, aveuglés par une foi assez malsaine en un Dieu prônant la paix, ils cherchent par tous les moyens à défendre ce Dieu comme si celui-ci avait besoin de quelques gardes du corps, censé le protéger des vilains mécréants ( qu'il a lui-même créer, après tout). Ils insistent également sur l'identité arabo-musulmane de notre pays et affirment vouloir sauver la société tunisienne de la débauche et des « Kofar » (athées). Et nous arrivons là à un point essentiel déjà évoqué sur ce blog : le paternalisme ancré dans nos gènes. La dictature partie, voilà que de nouveaux arrivants souhaitent prendre notre vie et notre éducation en charge, comme si la notion de liberté était simplement un mot qu'il faut gentillement contourner pour revenir à la bonne vieille autorité. Protéger les jeunes de la pornographie, protéger la société des dangereux athées sionistes qui veulent mettre à mort la religion musulmane, voilà la nouvelle menace, celle d'un état castrateur sous couvert de moralité, au mépris de toute liberté.

Les seconds n'ont pas tout à fait tort, mais sont souvent doués d'une logique frôlant l'absurde. Bon nombre d'entre eux ont compris que la manœuvre de Nessma n'est pas tout à fait anodine, en effet, diffuser Persepolis, deux semaines avant les élections et traduit en arabe dialectal, était une façon des plus claires de montrer aux gens ce qu'ils risquaient en votant Ennahdha. Mais cette catégorie de gens, dont une partie est descendue dans les rues ce vendredi, en veut surtout à Nessma pour avoir foutu le trouble en diffusant le film. Le trouble n'est pas dans le film, mais dans les réactions disproportionnées qu'il a suscité. Cet argument tombe d'ailleurs à l'eau quand on sait que Persepolis a été diffusé aux JCC sans suscité le moindre problème, et aussi quand on sait qu'une chaine comme Hannibal (qui devrait être fermée pour excès de populisme) a montré des gens au cabaret buvant du whisky dans un feuilleton ramadanesque sans que qui que ce soit ne proteste. Il n'y a aucune logique à tout cela.

Quelques remarques pour finir, beaucoup de manifestants évoquent le respect du aux opinions de la majorité, rappelons-leur qu'une vraie démocratie se distingue par l'attention qu'elle porte à ses minorités et non le contraire. Ce n'est pas parce que les athées, laïcs, koffar, juifs, chrétiens sont minoritaires qu'ils sont des citoyen de second ordre et qu'il doivent se taire au nom du respect dû à la majorité.
D'ailleurs, qu'on se le dise bien, en tant que minorité, ces gens-là ne menacent en rien l'omnipotence de la culture arabo-musulmane de notre pays, alors qu'on arrête de nous parler de complot laïc voulant corrompre la jeunesse. Laissons les gens libres de choisir leurs voies sans exclure et nous vivrons bien mieux ensemble.
Et enfin, Persepolis est un excellent film, aux personnages attachants, il porte un message de tolérance. Mais au delà de tout message et de tout scénario, ce film est sublime, touchant, drôle. Bien sûr, tous les goûts sont dans la nature, même les goûts de chiottes, mais ce qui est le plus terrible dans cette histoire, c'est l'incapacité d'une bonne partie de nos concitoyens d'apprécier un film pour ce qu'il est, sans y mêler leurs opinions ou leurs croyances. C'est la magie de l'imagination d'une enfant de 6 ans qui pense à Dieu qu'ils souillent de leurs conneries.
Nous peuple tunisien libre et souverain, ne pouvons accepter les tentatives de manipulation de la presse et désirons nous exprimer librement. Internet a été notre allié pendant la Révolution et le sera à l'aube de la démocratie. La jeunesse a un rôle déterminant dans la transition vers la démocratie et tient à montrer son attachement au dialogue et au débat.

Ce blog a comme vocation de profiter de notre liberté de parole fraîchement et chèrement acquise. Nous ne nous tairons pas, nous n’oublierons pas les sacrifiés pour que nous puissions redevenir des individus dignes. La période est charnière, il est nécessaire que le débat soit ouvert et actif. Nous voulons montrer que la jeunesse tunisienne peut être idéaliste mais réaliste, qu’elle veut chercher des vraies solutions et qu’elle a un vrai intérêt pour l’avenir de son pays.


Ce blog est un lieu d'échange démocratique et tolérant.