Le sit-in du Bardo a été l'occasion idéale pour voir de ses propres yeux l'état de néant intellectuel dans lequel certains de nos concitoyens sombrent. Ils ne sont pas à blâmer : l'abêtissement général de la population a été une politique active de Ben Ali, il a vidé l'éducation de tout sens, a totalement banni la politique de la vie universitaire, a négligé l'apprentissage des langues et la lecture, nécessaires à l'ouverture au monde, a concentré ses efforts uniquement sur les sciences durs pour que nos travailleurs ne sachent rien du monde,... Bref, il a tout fait pour abrutir ce peuple, et force est de constater qu'il a dans une certaine mesure réussi.
Si bien qu'en parlant avec quelques curieux venus au sit-in du Bardo, l'on est effaré par l'ampleur des dégâts : Beaucoup n'ont aucune référence culturelle fiable à part Dieu, la plupart se concentrent donc uniquement sur la question religieuse, ne pouvant faire de nuances ou se faire d'avis sur les autres sujets. Beaucoup d'entre eux vous demandent dès le début de la conversation si vous êtes athée ou pas, car malheureusement Dieu étant la seule référence, il ne peuvent juger un individu qu'à travers ça. Cela est bien plus la faute d'un régime qui a fermé toute porte à la réflexion, à la critique et qui a donc encouragé l'immobilisme des idées que la faute de ces mêmes individus.
La religion doit être une référence pour tout être humain. Mais c'est lorsqu'elle est la seule qu'elle devient dangereuse, il faut voir la religion comme une aide apportée par Dieu pour vivre sa vie temporelle, et non le mode d'emploi stricte à appliquer à la lettre de la vie spirituelle. Et puis je voudrais aussi dénoncer l'hypocrisie de ces gens, fruit d'une hypocrisie sociale flagrante : Beaucoup boivent, fument de la zatla, et votent quand même Ennahdha pour avoir bonne conscience, en soutenant qu'il y a beaucoup de trop de vice à leur goût et qu'il faut un parti islamiste pour purifier tout ça. Schizophrénie ou Hypocrisie, les vices en question sont les leurs mais ils culpabilisent. C'est simple soit on croit en Dieu et on fait se qu'on peut pour être vertueux et on peut voter islamiste, soit on assume ses actes et on boit et fume sans mauvaise conscience. Mais on ne peut pas faire basculer le destin de tout un pays pour une simple question de culpabilité.
Il est assez malheureux de voir que le débat est descendu aussi bas en Tunisie : il ne s'agit plus de régime parlementaire ou présidentiel, de libéralisme ou de socialisme, il ne s'agit plus que de mécréants et de croyants. C'est la conséquence directe de ces années de sécheresse culturelle qu'on été les années Ben Ali. Il est assez écœurant de voir que les seules personnes de moins de vingt ans pouvant parler politique et société normalement sont celles qui ont fréquenté les établissements privés ou les lycées publics des quartiers riches, ou alors des parents ayant insisté sur la culture de leurs enfants en leur inculquant le goût de la lecture dès le plus jeune âge.
Cette chute inexorable de l'éducation est particulièrement remarquable au niveau des langues : l'école de Bourguiba a fait de nous des quasi-bilingues arabe-français. Aujourd'hui, un diplômé du supérieur sort avec un français dit de survie, qui fait qu'il est incapable de sortir du marché du travail tunisien. Ce néant linguistique abyssale, n'est pas seulement le fruit d'un système éducatif qui a fait des langues le cadet de ses soucis, mais il est également dû la quasi-disparition du français de notre paysage audiovisuel, avec des chaines françaises remplacées par des chaines musicales ou religieuses arabes, et des radios traités d'élitistes dès lors que les présentateurs parlent un peu français.
C'est cette absence de diversité linguistique qui a fait que l'on voit apparaître aujourd'hui des traditions, des habits et des opinions qui n'ont rien de tunisien : à force de nous tourner vers l'orient, nous avons adopté sa culture et ses traditions, reléguant notre héritage et notre culture dans un coin. Car la Tunisie est diverse, arabe, ottomane, française, juive, et nous sommes plus proche d'un maltais que d'un qatari.
La culture, l'éducation sont des enjeux majeurs pour l'avenir du pays. En effet pas de développement sans culture et pas de culture sans acceptation des autres cultures. Mais la culture reste un luxe que garde avec jalousie la pseudo élite tunisienne. C'est cet égoïsme qui nous a couté les élections. A force de rester enfermés ignorant la réalité qui nous entoure, nous avons oublier à quel point la culture doit être le bien de tous. Ouvrons cinémas, théâtres, ateliers et bibliothèques pour tous, et non seulement nous serons tous plus aptes à comprendre la politique, tous plus aptes à occuper un emploi, et surtout tous plus aptes de vivre une vie selon nos choix et non selon ceux des autres. Et l'on aura une chance d'en finir avec l'ignorance et les jboura.